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Francine Nguyen-Savaria

Noël



Décembre. Blanc, puis vert, puis blanc, puis vert. Il neige, il pleut, il gèle, il fait beau soleil, il pleut encore, il neige encore... Dans toutes ces sautes d'humeur de la nature, aurons-nous un Noël blanc? Mon cœur regarde la neige tomber et espère un Noël blanc! Tu sais, les Noëls blancs du temps d'où ton visage et ta voix sont gravés dans ma mémoire. Tu as si peu changé. Moi, si. On vieillit tous, me diras-tu. J'ignore ce à quoi tu ressembles aujourd'hui. Je t'ai peut-être vu et entendu une ou deux fois, depuis que nous avons gâché le climat. Mais j'ai oublié, parce que ça n'arrive pas assez souvent. J'ai oublié ton visage le plus récent, et j'ai oublié le son de ta voix d'aujourd'hui.


Il neige doucement. Je marche dans les rues encore blanches. Le silence reflète la lumière du ciel. J'aime ces soirs d'hiver où le ciel couvert a, malgré lui, des lueurs du jour. Je marche doucement parce que le silence est sacré, mais au fond, je  «rushe». Je cours après le temps depuis des semaines. Je n'en peux plus. J'ai l'impression que ma vie m'échappe, entre les examens de mes élèves à l'école, les rendez-vous, un concert de Noël à préparer, des sessions d'enregistrement, des messes de Noël à préparer alors que je ne sais même plus si elles vont avoir lieu ou non, les messes régulières qui viendront juste après si les églises restent ouvertes, les changements d'horaire et les re-changements d'horaires à cause d'une éclosion de Covid que je n'avais pas vue venir, tous les scénarios en cas de confinement, en cas de confinement partiel, en cas de non-confinement... Quand le “high” et le “low” arrivent en même temps dans tous les domaines, c'est ce qui arrive. Il y a collision. J'ai l'impression que le temps me prend à la gorge.


Je dois vieillir, parce que Noël me rend un peu nostalgique. J'imagine que c'est ce qui arrive lorsque des gens s'en vont ou meurent. À l'ambiance festive se mêle la douceur des souvenirs: ma grand-mère maternelle que je distrayais en décorant l'arbre de Noël, les vacances à la campagne, l'odeur du poêle à bois, la compote de pommes qui cuisait dessus à longueur de journée, toi, mon cousin de plus de 6 pieds dont le nez a la même forme que le mien, à tel point que les infirmière de l'hôpital pensaient que j'étais sa sœur, les batailles de boules de neige... J'ai pourtant encore cette joie et cette excitation enfantines à l'approche de ma fête préférée, rassemblements ou non. Et heureusement, car il n'y a pas assez de 12 jours de Noël pour toute la belle musique qui existe! Le jour où je ne ressentirai plus cette chaleur et cette joie intérieure à jouer et chanter Noël jour et nuit pendant des semaines, le jour où je ne ferai que me brûler pour accumuler les (maigres) cachets, je ferai tout aussi bien d'arrêter ma carrière en musique sacrée!


Parce que c'est tout cela, Noël, non? Dans ce mélange de joie et de nostalgie, on touche presqu'à l'au-delà, on entrevoit l'immensité et la profondeur de l'amour presqu'infini que nous pouvons contenir. L'immensité vient à nous, la beauté est presque palpable, la vague mélancolie et la dureté qui dansent avec l'amour, les éclats de joie et le mystère. Peut-être que j'ai simplement la tête trop pleine. Je fais de l'insomnie deux soirs sur trois, alors il se peut fort bien que je sois en plein délire. Je marche dans le silence de la neige qui tombe, et j'ai l'impression d'entendre un peu du silence du monde avant son explosion. Il y a, dans le temps d'arrêt de Noël — tu sais, cet instant où on arrête de courir pour contempler — quelque chose d'un univers perdu qu'on retrouve. Et toi, c'est comment, Noël, pour toi?


Joyeux Noël.

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